Peut-on vraiment être soi-même en entreprise ?

Alors que la question de l’humain au travail refait surface via, notamment, les débats autour des nouvelles technologies et de l’ubérisation, est-il vraiment possible de se réaliser...

Alors que la question de l’humain au travail refait surface via, notamment, les débats autour des nouvelles technologies et de l’ubérisation, est-il vraiment possible de se réaliser et d’être authentique en entreprise ? Les réponses de Bruno Lefebvre,
psychologue clinicien et auteur d’un ouvrage sur le sujet*.

Pourquoi vous êtes-vous penché sur ce thème de l’authenticité ?

Les salariés attendent aujourd’hui de se réaliser, que le travail soit pour eux un facteur d’épanouissement.

L’envie d’être traité comme un individu ayant des besoins singuliers n’a jamais été aussi forte, alors même que les contraintes pesant sur l’entreprise se font plus pressantes. Mais ce besoin d’exprimer son authenticité se heurte à l’attente d’un fonctionnement « sous contrôle » de la part des organisations.

Le résultat est un paradoxe entre des organisations de plus en plus prescriptives face à un besoin d’émancipation accru des salariés.

Justement, est-il possible d’être authentique dans ce contexte paradoxal ?

Toute la difficulté consiste à pouvoir s’exprimer et rester soi-même dans un cadre normé. La question est d’importance, car le manque d’authenticité a des effets à moyen et long termes : comment rester en bonne santé psychologique alors que notre vie professionnelle n’a plus de sens à nos yeux ? En découlerait un sentiment de frustration, des remords et souvent des regrets…

Il existe également des situations dans desquelles il est difficile d’être authentique, et qui nécessitent parfois de se donner les moyens de choisir un environnement convenant mieux à ce que l’on est.

La question ne se pose-t-elle pas de manière accrue pour les RH ?

Oui, car les raisons pour lesquelles on choisit cette fonction sont parfois en décalage avec la pratique au quotidien. Ce métier se situe au carrefour de pressions, et il est difficile de rester authentique. Cela n’est pas sans risque pour l’équilibre psychologique.

Le meilleur marqueur de l’authenticité ? La fierté, lorsque l’on se reconnaît soi-même dans son travail.

En réponse, vous proposez de pratiquer « authenticité réfléchie ». De quoi s’agit-il ?

C’est un processus davantage qu’un état, un travail sur soi visant à aligner trois points : l’identification de ses aspirations profondes, le repérage de l’application de ces dernières au quotidien et, enfin, l’analyse de son environnement qui permet ou non la pleine expression de ses valeurs et de son potentiel. Cela est très différent de la spontanéité.

Cette forme d’authenticité nécessite l’identification de ses émotions, une prise de recul et, le cas échéant, un compromis entre ce que nous sommes et ce que nous souhaitons devenir, couplé à une analyse de l’environnement.

Quels sont les écueils à éviter ?

Ils sont de deux ordres. La limite de l’authenticité doit toujours être le tort fait à autrui ou au collectif de travail. Il s’agit donc de faire preuve de franchise vis-à-vis de soi-même, mais aussi de délicatesse envers les autres, ce qui suppose parfois de ne pas tout dire.

Ensuite, il est essentiel de se reconnaître un droit à l’erreur. L’authenticité repose sur un travail continu, c’est un chemin avant d’être une destination.

Propos recueillis par Frédérique Guénot

Mis à jour le 06/07/2020 / Publié le 10/09/2019
*Dirigeant d’AlterAlliance et auteur de l’ouvrage « Être authentique au travail, Comment concilier
efficacité et santé » paru chez Dunod.